Tout a commencé par ces mots venus du plus profond de moi, comme une invitation, qui de semaine en semaine se faisait plus présente « Je suis là, laisse-Moi t’aimer, n’aie pas peur, tu as du prix à Mes yeux ». Assise sur un rocher au bord d’une plage un soir de tempête, j’étais venue là pour me sentir vivante, me confronter à la force de l’océan. Envie de hurler, que tout s’arrête, comme devant un précipice où il va falloir sauter, faire un pas de plus, accepter de ne pas savoir ce qui sera après, perte de repère, perte de contrôle, mourir… pour renaitre à autre chose, avec l’intime conviction d’une promesse de bonheur. Mais cette question : « veux-tu Me laisser t’aimer comme tu es ? » est comme un gouffre devant moi…. Si j’accepte, je vais devoir abandonner, renoncer à celle que je crois être depuis tant d’année ! Renoncer à cette impression de ne pas être aimable, de ne pas être aimé qui a alimenté en moi cet irrésistible besoin d’aider les autres, d’être l’oreille qui écoute, d’être celle qui sauve pour me sauver moi-même ! Et si je suis aimée… je ne vais pas pouvoir ne pas aimer vraiment à mon tour, et même pardonner. L’enfant en moi tape des pieds : « Non j’veux pas ! C’est dangereux d’aimer. Ça fait mal quand l’autre s’en va, quand l’autre me rejette, me trahit, abuse de moi, quand l’autre souffre, quand l’autre meurt. Je préfère me protéger, je me tiens à distance et si on s’approche trop je sors les yeux revolver.»
Et en même temps je sais que c’est trop tard, je sais que la peur de ne pas être aimée et d’être rejetée à cédé le pas au désir d’aimer et de me laisser aimer. Il ne me reste plus qu’une seule issue : FUIR… sur une île déserte pour ne plus voir personne, ne plus être responsable de personne, ne plus faire de mal à personne. Alors que je suis déjà en train de chercher la destination, une petite voix m’interrompt délicatement : « euh, excuse moi de te déranger mais … et tes enfants, tu les emmènes ? »
Un dialogue s’installe alors entre l’enfant qui tape du pied les bras croisés et celle qui est là aujourd’hui sur ce rocher à bout de souffle. Je me mets à sa hauteur, le regarde et lui dit la voix pleine d’émotion : « Oui je sais, je comprends tes peurs, ta colère… ta tristesse. Viens te blottir contre moi, tu peux pleurer si tu veux, hurler, crier, dire tout ce que tu n’as pas pu dire avant… Je suis là pour toi.» L’enfant s’approche, hésitant, me regardant droit dans les yeux. Son regard me scrute, plonge au plus profond de moi comme pour aller sonder mon cœur, pour vérifier si je suis quelqu’un de confiance. Il faut dire qu’on se connait peu finalement. Je ne lui ai jamais parlé comme cela, je voulais toujours le faire taire, l’ignorer, l’empêcher de laisser sortir sa colère. Surpris, il se demande ce qui m’arrive.
Comme je reste là les bras tendus vers lui en guise d’invitation, il finit par venir se blottir contre moi, cherchant la meilleure position pour enfin s’autoriser à pleurer. Je me laisse modeler à la forme qui lui convient pour l’accueillir. C’est nouveau pour moi aussi, les câlins ce n’est pas mon fort… Il le sait mais aujourd’hui il comprend, qu’au-delà de la maladresse de mes gestes, je suis là entièrement pour lui. Nous restons comme cela en silence, un moment d’éternité, le temps est comme suspendu. Peu à peu, les sanglots laisse la place à l’apaisement. L’enfant tourne doucement son regard vers moi, ses yeux m’interrogent : « alors qu’est-ce qu’on fait maintenant? »
« Un ami m’a dit un jour : quand quelque chose marche il ne faut pas en changer, mais quand ça ne marche pas il faut essayer autre chose ! Et tu vois là pour moi ça ne marche plus. Je m’épuise. Allez viens, on essaye ? Et si ça ne marche pas on essayera encore autre chose. » L’enfant fait la mou pas vraiment convaincu. Des choses j’en ai déjà essayé tellement à la recherche du bien-être. « Et puis… la Vie a mis sur notre route des personnes en qui on peut avoir confiance. »
L’enfant recule… faire confiance… ce n’est pas encore facile pour lui. Il préfère les animaux aux hommes, avec eux c’est clair pas de mensonge ni de trahison. Il va lui falloir du temps. A bout d’argument je sens la détresse m’envahir. Je sais que je ne plus continuer comme cela je vais craquer. Cette phrase sortie tout droit d’un film vu il y a quelques années, jaillie comme un cri du plus profond de moi « Mon Dieu prends pitié de moi, sauve-moi ! »
Une mélodie remonte alors du fond de ma mémoire. J’appelle l’enfant et lui dis simplement : «Tu sais, j’ai la certitude que nous ne sommes pas là déposé au hasard au milieu de l’immensité de l’univers, notre vie à une résonance éternelle… écoute cette chanson : « Acceptes-tu de mourir avec Moi, toi à qui Je donne vie ? N’aies pas peur de ce chemin devant toi, Moi je précède ton pas. Demeure en Moi pour trouver la vraie Vie, hors de moi tu ne peux rien. Laisse-Moi étreindre ton cœur et ta vie afin de porter du fruit » L’enfant me sourit, ses yeux brillent d’une lumière nouvelle. Il me tend la main … et disparait.
Sur ce rocher face aux vagues qui déferlent avec force, le visage fouetté par la pluie battante, la respiration coupée par le vent, face à l’immensité de l’océan, je me sens si petite, si vulnérable, si fragile… mais quel soulagement ! Enfin je touche le fond, je ne veux plus me battre, j’arrête de lutter contre moi-même, de tout porter sur mes épaules comme si de rien n’était. Comme un cri vers le Ciel, j’accepte de me laisser faire, de me laisser consoler, de me laisser pardonner, de me laisser sauver. Une vague de chaleur et de douceur m’envahit. Mes larmes mêlées à la pluie et à l’eau de l’océan coulent sur mes joues, sur mes lèvres… promesse d’un jour nouveau qui se lève, d’un chemin à suivre pas à pas pour commencer à vivre.
Je ne sais pas de quoi sera fait demain mais je choisis de vivre l’aujourd’hui de ma vie. Je fais le choix d’accepter les joies et les souffrances de chaque jour, d’arrêter de chercher le bien-être, cette sorte d’homéostasie émotionnelle dont on nous rabat les oreilles, et de me laisser embrasser par la Vie.
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